Le président sortant a fait annoncer sa candidature à l’élection présidentielle pour un 8eme mandat via les réseaux sociaux.

Paul Biya, candidat du virtuel invisible sur la scène publique

(*) Par Roland Tsapi______________

L’opinion se demande toujours où il est, pour laisser le virtuel prendre le dessus sur les réalités du pays. Déjà âgé de 92 ans, il aspire ainsi à atteindre 99 ans étant au pouvoir, ou tout simplement y mourir Paul Biya, le président sortant du Cameroun, sera candidat à l’élection pour l’accession à la magistrature suprême le 12 octobre 2025. Contrairement à d’autres candidats annoncées jusque-là, dont la décision de solliciter le vote des électeurs a été prise au cours d’un congrès, il n’y a pas eu pareille assise au Rassemblement démocratique du peuple camerounais, sa candidature étant naturelle du fait qu’il préside déjà aux destinées de ce parti. Contrairement aussi à d’autres candidats qui s’expriment physiquement pour expliquer leurs candidatures, Paul Biya est resté invisible, sa candidature a été annoncée par les réseaux sociaux, notamment le compte X identifiée par son nom et à travers lequel bien d’autres messages sont constamment envoyés comme s’adressant au peuple camerounais. Sur le document qui fait office de l’annonce, on peut lire : « Assurer la sécurité et le bien-être des filles et fils de notre cher et beau pays est la mission sacrée à laquelle je consacre mon temps et mon énergie, depuis mon accession à la magistrature suprême. Les résultats sont là, visibles, appréciables…Beaucoup reste cependant à faire…Face à une telle situation, je ne saurais me dérober de la mission qui est la mienne, j’ai donc décidé de répondre favorablement aux appels pressants qui montent des dix régions de notre pays et de la diaspora. Je suis candidat à l’élection présidentielle du 12 octobre 2025. Soyez assurés que ma détermination à vous servir est à la mesure de l’acuité des défis auxquelles nous sommes confrontés. La situation des jeunes et des femmes sera au cœur de mes priorités. Ensemble, il n’est pas de défis que nous ne puissions surmonter. Le meilleur reste à venir »

Bluff… Les résultats visibles et palpables dont parle le document, il faut être de mauvaise foi pour ne pas les voir. Il n’y a qu’à voir l’état de la route nationale numéro un du pays, notamment le tronçon Ngaoundéré-Garoua, long de 278km, qui est parcouru en 7h18 minutes dans une voiture adaptée et en escorte, comme le dit le ministre de la République Paul Atanga Nji, contre 2H30 minutes il y a 20 dans une voiture quelconque.
La situation des jeunes a jusqu’ici tellement préoccupé Paul Biya, qu’ils sont passés des études universitaires gratuites et avec bourse, au paiement obligatoire des frais, pour eux Paul Biya a aussi développée l’activité refuge et dégradante des moto taxi, dont la maîtrise est devenue un casse-tête pour les maires des villes. Mais l’heure n’est pas au bilan. Les Camerounais se demandent déjà où il est, Paul Biya, qui veut solliciter un autre mandat, quand on sait que le mandat qu’il a pris en 2018 a été immédiatement transféré via une délégation permanente de signature au Secrétaire générale de la présidence, qui depuis lors gère le pays par procuration, derrière une chimère appelée « hautes instructions », quand on sait que le nombre de fois qu’il est apparu en public depuis 7 ans se compte sur les doigts, et que même ces rares apparitions ont été strictement contrôlées, avec bannissement des caméra et téléphone. …à partir du virtuelLe président sortant est en effet devenu virtuel. On en entend parler, mais on ne le voit pas. Issa Tchiroma, après de 20 ans de loyauté, a quitté le gouvernement en évoquant l’invisibilité du président entre autres.
Le cinéaste Jean Pierre Bekolo fait aussi la remarque : « Après avoir été président d’un pays qui se fait appeler « le continent », Paul Biya est désormais président du cloud (nuage). Bienvenue donc dans le tout premier pays dirigé depuis les nuages… littéralement. Le Cameroun vient d’inaugurer un nouveau régime : la République Virtuelle du Cameroun – RVC! Ici, le pouvoir ne s’exerce plus sur terre mais en ligne, dans un espace flottant entre les groupes WhatsApp, Facebook, Twitter (X)… et les photos retouchées sur Photoshop. Pendant des années, le régime de Paul Biya a diabolisé les réseaux sociaux. Taxé les activistes de “politiciens Facebook”.

Et voilà que Paul Biya est devenu lui-même un « politicien Facebook ». Aujourd’hui, c’est par une candidature virtuelle, émise depuis le côté obscur du numérique d’un Paul Biya invisible que les apprentis sorciers d’internet tentent de reconduire le chef de l’État. Le Cameroun expérimente ainsi une démocratie virtuelle, où le peuple est sommé de renouveler un mandat à un avatar. Ils ont moqué le virtuel parce que eux géraient le réel. Sauf que c’est d’un nuage (cloud) qu’ils viennent dirent aux camerounais que Paul Biya est candidat. Un nuage qui est un cloud de la confusion, d’où le palais vient poser la candidature d’un homme virtuel qu’on ne voit plus, qu’on n’entend plus, qu’on ne sent plus… Dans un pays où la connexion est l’une des plus chère d’Afrique, devenant ainsi la première démocratie 5G… sans réseau. Pourquoi ce soudain intérêt des dirigeants pour le virtuel ? Parce qu’ils ont peur du réel. Peur d’affronter le peuple, peur de la rue, peur d’être démasqués.

Dans cette guerre entre le peuple réel et le président virtuel, la République est désormais gouvernée à distance, en “remote”, par une main qui tient la télécommande tout en voulant rester cachée. Paul Biya ne parlera plus. Et quand il parlera, qui parlera vraiment ? Car en vérité, Paul Biya se résume désormais à ce qu’on en dit, il n’est plus qu’une image, une figure fictive. Ils se moquaient des deepfakes ? Pour cette élection ils nous donnent un deep président. Ils riaient des avatars ? Pour cette élection ils nous créent un président hologramme, version 93 ans, bug constant, mise à jour impossible. Le régime camerounais, qui vilipendait les réseaux sociaux, y trouve désormais refuge. En s’y installant, il bascule lui-même du côté obscur du web. Mais si le pouvoir s’enfonce dans l’irréel, c’est à nous, citoyens, de revenir au réel, de nous reconnecter à la vie, à la rue, aux luttes, pour que la vérité du réel démasque l’illusion du virtuel, l’imposture. Pendant que les camerounais dans le réel, cherchent du travail, cherchent de quoi nourrir leurs familles, le régime lui cherche le Wi-Fi. Pendant que les camerounais cherchent un président, le président n’est plus dans la République. Il est dans le cloud (le nuage) Le palais est devenu un data center. Le RDPC, un bot. Et le pays, un fichier en attente. »

(*) Chronique du 15 juillet 2025 sur Balafon média

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