Paul Biya, président du Cameroun depuis 42 ans, à 91 ans, n’assume plus la gestion quotidienne du pays. Il a accordé une délégation permanente de signature au Secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, qui dirige en réalité le Cameroun en tandem avec la première dame Chantal Biya. Alors que la prochaine présidentielle est prévue en 2025, la guerre de succession fait rage entre les clans rivaux, dont celui de Franck Biya, fils aîné du président Biya. Un contexte d’incertitudes qui rappelle celui de la Guinée en 2008 où l’armée s’était emparé du pouvoir au lendemain du décès du président Lansana Conté.
Ministre en service commandé
Si Biya n’a pas sifflé immédiatement la fin de la récréation entre Mouelle Kombi et Eto’o, ce n’est pas tant qu’il n’en a pas eu envie, mais parce que son état l’éloigne de l’exercice effectif du pouvoir. Paul Biya n’est plus président du Cameroun au quotidien. Ses rares apparitions publiques se limitent aux grandes fêtes et événements nationaux. De nombreux émissaires étrangers de haut rang de passage à Yaoundé ont patienté des jours sans avoir pu décrocher un rendez-vous au Palais d’Etoudi avec le président nonagénaire.
Bien plus qu’une simple rumeur, les difficultés de Paul Biya à exercer les devoirs de sa charge de chef de l’État ont été mises en évidence en décembre 2022 à Washington lors du Sommet États-Unis/Afrique. Dans une courte vidéo, on voit le président Biya traversé par un long moment de vide, demandant à ses collaborateurs où il se trouvait. Que doit-il faire ? Qui sont les membres de l’audience devant lui ? Que doit-il leur dire ? Biya ne tient plus de Conseil des ministres depuis plusieurs années.
Le pays fonctionne en pilotage automatique grâce au système Biya qui repose principalement sur le Secrétaire général de la présidence (SGPR). De simple « transmetteur de la volonté de Biya », Ngoh Ngoh, le Secrétaire général de la présidence, est devenu « le président-bis du Cameroun ». Il bénéficie désormais d’une délégation permanente de la signature de Paul Biya. Lui et lui seul décide des affaires qui doivent remonter au président. Le plus souvent, il choisit de s’en charger. Sans aucun égard pour le Premier ministre Joseph Dion Ngute, le SGPR s’adresse directement aux ministres et à la haute administration à coups de lettres-circulaires portant « hautes instructions du chef de l’État ». Vraies ou fausses « hautes instructions », personne n’a les moyens de vérifier, l’accès au « grand patron » étant quasiment impossible, y compris pour ses plus proches collaborateurs.
La main de Chantal Biya
Profitant de sa position privilégiée au cœur du pouvoir, Ngoh Ngoh tisse patiemment sa toile. Il a placé ses hommes à la tête de grandes institutions publiques telles que la direction générale des Impôts, le port autonome de Douala, poumon économique du pays, la Caisse de dépôts et consignations (CDC). Il s’est aussi assuré le soutien des Israéliens qui contrôlent étroitement la Garde présidentielle (GP) et le Bataillon d’intervention rapide (BIR), les deux unités les plus puissantes de l’armée camerounaise. Si Ngoh Ngoh, qui n’était qu’un obscur haut fonctionnaire jusqu’en 2011, a pu connaître cette ascension fulgurante au point d’être désormais devenu l’homme le plus puissant du Cameroun, c’est surtout en raison de sa proximité personnelle avec la première dame Chantal Biya, originaire comme lui du département de la Haute Sanaga, région Centre du Cameroun.
Une guerre de succession en coulisse
Alors que l’incertitude grandit autour de la candidature du président Biya à la présidentielle de 2025, le tandem Ngoh Ngoh-Chantal tente de creuser l’écart par rapport aux autres clans engagés dans la bataille de succession, notamment le clan familial. Louis-Paul Motaze, neveu et argentier du Cameroun, nourrit secrètement l’ambition grand marche vers le pouvoir suprême, Motaze, originaire du Sud comme son oncle Paul Biya, pourra compter sur le renfort de ses beaux-parents du Nord, qui se sentent éloignés du premier cercle du pouvoir depuis la démission, en 1982, d’Amadou Ahidjo, un des leurs.
Au Cameroun, sans doute plus qu’ailleurs en Afrique, le poste de ministre des Finances est stratégique en ce qu’il permet de disposer d’une clientèle politique à coups d’attribution de la commande publique. Qui tient les cordons de la bourse peut s’acheter une clientèle politique. Motaze a ainsi su tisser de bons relais dans les milieux économiques et financiers camerounais. Ça peut toujours servir. Autre signe de sa volonté de jouer un rôle de premier plan dans la succession de son oncle, le ministre camerounais des Finances a bâti de solides réseaux qu’il soigne bien dans les rangs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti au pouvoir).
Franck Biya en embuscade
Dans cette féroce bataille de succession à Paul Biya dans laquelle tous les coups sont permis, le clan familial est loin d’être soudé. Fils aîné de Paul Biya, né de son premier mariage, Franck, comme l’appellent les Camerounais, est désormais à 54 ans de retour définitivement au pays, après avoir tenté de construire sa voie dans les affaires. Les apparitions publiques fortement médiatisées de Franck Biya, qui fuyait jadis la lumière, attestent d’une volonté d’être présent dans ce lourd contexte de fin de règne et des lendemains incertains.
Pour capitaliser ses chances d’avoir son mot à dire dans la succession de son père, Franck Biya n’a pas hésité à se réconcilier avec Chantal Biya, sa belle-mère avec laquelle il a été longtemps à couteaux tirés. Fils de Jeanne-Irène, première épouse de Biya, décédée en 1992, Franck Biya continue de tisser patiemment sa toile, s’appuyant sur des relais dans la haute administration, notamment à travers le directeur du cabinet civil du président Samuel Ayolo et le ministre de l’Économie Ousmane Mey, son plus fidèle ami.
Outre de nombreux barons du RDPC qui voient en lui une assurance-vie et le meilleur garant de la continuité de l’héritage de son père, Franck a su se ménager la proximité des personnalités people, dont l’icône du football camerounais Samuel Eto’o fils. Dans un pays où le football est une religion qui fédère toutes les extrêmes, le soutien d’Eto’o, propulsé depuis lors à la tête de la fédération camerounaise de football (FECAFOOT), n’est pas négligeable. Toutefois, Samuel Eto’o pourrait être tenté de jouer sa propre carte. En bon chef d’État et chef de village, Paul Biya impose le tabou sur sa succession. Il savoure même cette sorte de « guerre civile » entre clans rivaux et entretient le mystère sur sa préférence, espérant ainsi que les prétendants se neutralisent.
L’armée, dernier arbitre
Le contexte actuel de grandes incertitudes au Cameroun rappelle celui de la Guinée du colonel Lansana Conté. Comme Biya, le chef de l’État guinéen Conté, diminué par la maladie, avait perdu la faculté de diriger véritablement son pays. L’armée guinéenne avait profité de son décès en décembre 2008 pour s’emparer du pouvoir. Le scénario guinéen va-t-il se produire au Cameroun ?
À défaut de prendre elle-même les rênes du pouvoir, l’armée, par son soutien, sera l’élément déterminant quand sonnera le clairon de la succession de Paul Biya. Sur ce plan, le tandem Ngoh Ngoh/Chantal Biya affiche une longueur d’avance sur ses rivaux. Reste à savoir si cela sera suffisant pour l’emporter.
(*) Source : Mondafrique
Le surtitre est de la rédaction