Une situation éminemment implosive
Après le soulèvement des populations suite aux expropriations sauvages de Dikolo, le Président de la République a frappé du poing sur la table, avec le scandale foncier de Bastos. Mais les mesures prises par le Mindcaf après ce rappel à l’ordre ont l’air d’une mauvaise solution à un malaise profond.
(°) Par Adrien Macaire Lemdja______________
Le Cameroun, pays riche en ressources naturelles, fait face depuis plusieurs décennies à une crise foncière qui s’intensifie avec le temps. Les scandales fonciers comme celui de « DIKOLO » ou bien l’affaire BAT (British American Tobacco) du nom de la société dont le patrimoine foncier à Bastos a failli être spolié et pour lequel le président Paul Biya a ordonné une enquête approfondie, les milliers d’ha octroyés à un industriel dans l’Adamaoua provoquant l’ire des populations locales sans oublier les contestations des populations dans le sud du pays qui avaient amené l’État à suspendre le bail qu’il avait accordé à l’industriel Emmanuel Néossi pour son projet de cacaoyère, et la liste n’est pas exhaustive, se multiplient.
Les litiges entre individus, communautés villageoises et l’État sont devenus monnaie courante.
Des mouvements symptomatiques de la faiblesse des textes qui régissent le foncier.
Cette situation, si elle n’est pas maîtrisée, menace non seulement la cohésion sociale, mais également le développement économique du pays.
Cet article a pour objectif d’identifier les principales causes de l’insécurité foncière au Cameroun, de proposer des démarches sécurisées pour l’obtention d’un titre foncier et de suggérer des pistes pour prévenir les litiges fonciers.
I. Les causes de l’insécurité foncière au Cameroun.
L’insécurité foncière au Cameroun trouve ses racines dans plusieurs facteurs complexes qui se chevauchent. Parmi les plus notables :
- La complexité et la lenteur des procédures administratives : Les procédures pour l’obtention d’un titre foncier au Cameroun sont particulièrement complexes et longues. Cette situation favorise les abus, notamment la falsification de documents et la corruption. Les citoyens, découragés par la bureaucratie, recourent souvent à des méthodes informelles pour sécuriser leurs terres, ce qui engendre des conflits.
- La corruption endémique : La corruption au sein de l’administration foncière est l’une des principales causes de l’insécurité foncière. Les fonctionnaires corrompus manipulent les dossiers fonciers en faveur de ceux qui peuvent payer des pots-de-vin, au détriment des propriétaires légitimes. Cette situation crée un climat de méfiance généralisée et fragilise la propriété foncière.
- Les expropriations forcées et arbitraires : L’État, sous prétexte de projets d’utilité publique, exproprie souvent des terres sans respecter les procédures légales ou sans indemnisation équitable. Ces expropriations, souvent réalisées dans des conditions douteuses, engendrent des conflits violents entre les communautés villageoises et les autorités.
- Les conflits intercommunautaires : Les questions de pâturage, d’approvisionnement en eau, et d’accès aux terres cultivables provoquent régulièrement des affrontements entre communautés villageoises. Ces conflits sont exacerbés par l’absence de délimitation claire des terres et par la gestion traditionnelle des terres qui n’est pas toujours alignée avec les lois modernes.
- L’absence de cadastre numérique : Le Cameroun ne dispose pas encore d’un cadastre numérique efficace, ce qui rend difficile la gestion des terres et l’accès à des informations fiables sur la propriété foncière. L’absence d’un système centralisé et moderne de gestion des titres fonciers contribue à l’insécurité et à la multiplication des litiges.
II. Démarches sécurisées pour l’obtention d’un titre foncier.
Face à ces défis, il est crucial d’adopter des démarches rigoureuses et sécurisées pour l’obtention d’un titre foncier. Voici les étapes clés à suivre :
- Effectuer un diagnostic préalable : Avant d’acquérir une parcelle de terre, il est essentiel de mener une enquête approfondie pour vérifier l’historique de la propriété. Cela implique de consulter les registres fonciers disponibles et de s’assurer que le terrain en question n’est pas objet de litige ou d’expropriation.
- Suivre les procédures légales : Respecter scrupuleusement les procédures prévues par la loi pour l’acquisition d’un titre foncier est fondamental. Cela inclut la délimitation officielle de la parcelle par un géomètre agréé, la publication des avis requis, et l’obtention des autorisations nécessaires auprès des autorités compétentes.
- Recourir à des professionnels qualifiés : Faire appel à des avocats spécialisés en droit foncier et à des géomètres professionnels est vivement recommandé pour garantir la légalité et la sécurité de la transaction foncière.
- Utiliser des technologies modernes : Le recours aux technologies numériques pour le suivi du processus d’acquisition d’un titre foncier est une approche innovante pour minimiser les risques de fraude. Cela inclut l’utilisation de plateformes numériques pour vérifier l’authenticité des documents et suivre l’avancement du dossier en temps réel.
III. Pistes de réflexion pour prévenir les litiges fonciers.
Pour éviter que la situation actuelle ne se détériore davantage, des réformes profondes sont nécessaires. Voici quelques pistes de réflexion pour améliorer la gouvernance foncière au Cameroun :
- Réforme du cadastre et numérisation des registres fonciers : La mise en place d’un cadastre numérique national permettrait de centraliser toutes les informations relatives aux terres et aux propriétés foncières. Cela faciliterait la vérification des titres fonciers et réduirait les risques de fraude.
- Renforcement des capacités des administrations foncières : Il est impératif de former les agents publics en charge de la gestion foncière pour qu’ils puissent répondre efficacement aux défis actuels. Cela inclut des formations continues sur les lois foncières, l’éthique professionnelle, et l’utilisation des technologies modernes.
- Lutte contre la corruption : La création d’un organe indépendant de surveillance des pratiques foncières pourrait aider à lutter contre la corruption. Cet organe devrait avoir le pouvoir d’enquêter sur les cas de corruption et de sanctionner sévèrement les contrevenants.
- Engagement des communautés locales : Impliquer les communautés locales dans la gestion des terres à travers des comités de gestion foncière peut renforcer la transparence et réduire les conflits. Ces comités, composés de représentants des communautés, des autorités locales, et des experts, pourraient servir de médiateurs en cas de litige.
- Amélioration des lois foncières : Les lois foncières actuelles devraient être révisées pour combler les lacunes existantes et s’adapter aux réalités socio-économiques actuelles du Cameroun. Cela inclut la clarification des procédures d’expropriation et la garantie d’une indemnisation équitable pour les populations affectées.
L’insécurité foncière au Cameroun est un problème complexe qui nécessite une approche multifacette pour être résolu. L’État, en collaboration avec les communautés locales, les investisseurs, et la société civile, doit prendre des mesures décisives pour améliorer la gouvernance foncière. La réforme des institutions, la lutte contre la corruption, et l’adoption des technologies modernes sont des étapes cruciales pour garantir un accès équitable et sécurisé à la terre, condition sine qua non pour le développement durable et la paix sociale au Cameroun.
(*) Le surtitre, le titre et le chapô sont de la rédaction
(°) Correspondance particulière