L’initiative du président de l’Assemblée nationale est un acte dangereux pour la démocratie camerounaise.
Il existe peut-être des cas similaires dans d’autres pays. Mais pas concernant des présidents en exercice.

L’ultime provocation d’un régime décadent

Par Thomas Tankou______________

En Turquie par exemple, le bâtiment de la Grande Assemblée nationale porte le nom de certains dirigeants, notamment celui de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République.

Cependant, il est rare que le bâtiment abritant le siège des institutions parlementaires soit directement nommé d’après un chef de l’exécutif en exercice, surtout lorsque ce dernier est au pouvoir depuis aussi longtemps que Paul Biya. Dans la plupart des démocraties, les institutions sont généralement nommées d’après des figures historiques, des héros nationaux, ou des concepts liés à la démocratie.
Les cas où cela se produit sont souvent le reflet de systèmes politiques moins démocratiques, où la concentration du pouvoir est plus marquée.
La récente décision du bureau de l’Assemblée nationale du Cameroun de baptiser le nouvel hémicycle du nom de Paul Biya, l’actuel chef de l’État, a suscité une vague de indignation tant au niveau national qu’international. Ce choix, loin d’être anodin, représente une provocation manifeste dans un contexte politique déjà tendu, et pose la question cruciale de la séparation des pouvoirs dans un État censé être démocratique.

Un édifice au nom d’un homme…

Le choix de nommer un bâtiment aussi symbolique que le siège des institutions parlementaires en l’honneur d’un président en exercice soulève des interrogations profondes sur l’indépendance et l’intégrité des institutions. Dans une démocratie véritable, les symboles de l’État doivent transcender les individus pour incarner les valeurs collectives et la pluralité des voix. En désignant Paul Biya, le régime en place semble renforcer une image de pouvoir personnel et d’autoritarisme, au détriment des principes démocratiques.

Réaction de l’opinion publique…

La levée de boucliers qui a suivi cette annonce témoigne d’un malaise profond chez les Camerounais.
La question « Peut-on parler fort dans la maison d’autrui ? » résonne comme un écho des préoccupations sur la liberté d’expression et le respect des institutions. Les citoyens se sentent de plus en plus muselés dans un système où les décisions politiques semblent être prises sans consultation ni considération pour l’opinion publique. Cette situation crée un climat de méfiance et d’apathie, nuisant à l’engagement civique.

L’érosion de la séparation des pouvoirs…

La décision de nommer un édifice parlementaire au nom de Paul Biya pourrait être perçue comme une tentative de fusionner les pouvoirs exécutif et législatif, compromettant ainsi l’équilibre nécessaire à un fonctionnement démocratique. Une telle érosion de la séparation des pouvoirs peut mener à un système où les lois et les décisions politiques sont dictées par un seul homme, rendant les institutions parlementaires simplement des prolongements du pouvoir exécutif.

Risques d’autoritarisme…

En glorifiant une figure politique à travers des symboles comme le nom d’un bâtiment public symbole du pouvoir législatif, le régime envoie un message clair sur la direction prise : celle d’un autoritarisme croissant. L’absence de limites claires à l’autorité du président peut conduire à une concentration du pouvoir, rendant difficile toute forme d’opposition ou de critique.

Détérioration de la confiance publique…

La confiance des citoyens dans les institutions est cruciale pour le bon fonctionnement d’une démocratie. Des actes perçus comme des provocations, tels que la dénomination d’un hémicycle au nom d’un président en exercice, peuvent engendrer un cynisme généralisé à l’égard des processus démocratiques. Cela peut conduire à un désengagement des citoyens et à une augmentation de la polarisation politique.

Un dangereux précédent…

En somme, le choix de nommer le nouvel hémicycle du nom de Paul Biya n’est pas qu’une simple question de dénomination. Il s’agit d’un acte aux implications profondément politiques, qui menace de miner les fondements mêmes de la démocratie au Cameroun. Alors que le pays traverse des périodes d’incertitude et de tensions, il est impératif que les institutions agissent avec responsabilité et en faveur de l’intérêt collectif, plutôt que de servir des ambitions personnelles. La préservation des valeurs démocratiques doit passer par un respect scrupuleux de la séparation des pouvoirs et une véritable écoute des aspirations du peuple camerounais.