Depuis qu’un tribaliste assumé a avancé des insanités sur une chaîne de télévision, concernant l’un des martyr de l’indépendance du Cameroun, les autorités camerounaises se sont enfermées dans un mutisme suspect. Au moment où les débats vont dans tous les sens, LE HÉRAUT NATIONAL vous propose ci-dessous un zoom-back sur le parcours d’un HÉRO NATIONAL, qui aura consacré toute sa vie au combat pour l’indépendance totale du Cameroun.
Ernest Ouandié : figure de proue du nationalisme camerounais
(*) Par Arol Ketch______________
Né en 1924 dans un village de l’arrondissement de Bana (Haut-Nkam), Ernest Ouandié est le cinquième enfant d’une fratrie de sept, issus d’un foyer polygamique. Dès son enfance, il se distingue par son intelligence et sa détermination.
De 1933 à 1936, il suit ses études primaires à l’école publique de Bafoussam (quartier Famla), aux côtés de figures qui, comme lui, laisseront une empreinte indélébile dans l’histoire du Cameroun, à l’instar de Dr Tagny Mathieu, de Kame Samuel, et de Feyou de Happy.
En 1937, il poursuit sa formation à l’école régionale de Dschang et, en 1940, il réussit le CEPE ainsi que l’examen d’entrée à l’école primaire supérieure de Yaoundé, où il obtient, en 1943, son Diplôme des Moniteurs Indigènes (DMI). Cette bourse d’études lui ouvre les portes d’une carrière d’enseignant, mais aussi d’un engagement syndical et politique qui le mènera sur des sentiers tumultueux.
𝐋’𝐞𝐧𝐠𝐚𝐠𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 : 𝐮𝐧 𝐜𝐡𝐞𝐦𝐢𝐧 𝐬𝐞𝐦𝐞́ 𝐝’𝐞𝐦𝐛𝐮̂𝐜𝐡𝐞𝐬
Dès 1944, Ernest Ouandié devient une figure centrale dans les cercles militants et syndicaux. Enseignant à Edéa, il adhère à l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC), une plateforme qui défend les droits des travailleurs camerounais face aux abus de l’administration coloniale.
Mais c’est au sein de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), à partir de 1948, qu’il trouve sa véritable vocation : la lutte pour l’indépendance totale et la souveraineté du Cameroun.
Ses affectations disciplinaires successives (Edéa, Dschang, Douala, Doumé, Yoko, et ailleurs) témoignent de l’inconfort qu’il cause à l’administration coloniale, qui tente sans relâche de limiter son influence. Malgré tout, Ouandié utilise chaque nouvelle affectation disciplinaire comme une opportunité pour étendre les réseaux de l’UPC et mobiliser de nouveaux sympathisants, même dans des zones reculées.
En 1952, il est élu vice-président de l’UPC, chargé de l’organisation. Il devient aussi directeur de La Voix du Cameroun, un organe de presse militant. Infatigable, il participe en 1954 à un voyage marquant en Chine, à Paris et à Moscou, qui renforce ses convictions révolutionnaires et internationalise la lutte pour l’indépendance camerounaise.
En mai 1955, après l’interdiction brutale de l’UPC et les massacres de ses militants par l’administration coloniale, Ernest Ouandié se réfugie dans le Cameroun sous administration britannique, à Kumba. Ce passage dans la clandestinité marque un tournant dans sa vie et sa lutte.
𝐋𝐞 𝐦𝐚𝐫𝐭𝐲𝐫 𝐝𝐞 𝐥’𝐢𝐧𝐝𝐞́𝐩𝐞𝐧𝐝𝐚𝐧𝐜𝐞
Après l’indépendance nominale du Cameroun en 1960, sous Ahmadou Ahidjo, Ernest Ouandié devient l’un des derniers bastions de la résistance armée contre un régime qu’il considère comme une marionnette des anciennes puissances coloniales.
En tant que président du comité révolutionnaire et chef d’état-major des forces combattantes de l’UPC, il mène un combat acharné pour la souveraineté totale du Cameroun.
Cependant, traqué par les forces du régime, il est arrêté le 19 août 1970 à Mbanga. Soumis à un interrogatoire brutal dirigé par le sinistre Jean Fochivé, il est présenté comme un “traître à la République”. Son procès, joué d’avance, le condamne à mort.
Le 15 janvier 1971, sur la place publique de Bafoussam, Ernest Ouandié fait face à son destin. Menottes aux poignets, il refuse qu’on lui bande les yeux, un geste symbolique qui témoigne de son courage inébranlable. Avant que le peloton d’exécution ne fasse feu, il lance : « Vive la République, l’histoire jugera ! ». Peu avant, il avait dit à ses geôliers : ” Dites à mon épouse et à mes enfants que je n’ai pas trahi”
𝐋𝐞𝐬 𝐝𝐞𝐫𝐧𝐢𝐞̀𝐫𝐞𝐬 𝐡𝐞𝐮𝐫𝐞𝐬 𝐝’𝐮𝐧 𝐡𝐞́𝐫𝐨𝐬
Ce matin-là, sous le soleil montant, le peloton de soldats exécute successivement Raphaël Fotso et Gabriel Tabeu, deux camarades d’Ernest Ouandié. Lorsque vient son tour, il montre une sérénité désarmante. Aux provocations d’un soldat lui proposant une “bouteille de bière”, il répond calmement en corrigeant : « Offrez-moi une bière, et non une bouteille de bière. »
Ernest Ouandié avance d’un pas ferme, entouré de soldats, escorté comme un condamné, mais rayonnant comme un martyr. À ses côtés, deux compagnons de lutte : Gabriel Tabeu, surnommé Wambo le Courant, et le jeune Raphaël Fotsing. La foule silencieuse retient son souffle. L’atmosphère est pesante, imprégnée d’une tristesse que les mots ne peuvent décrire.
Arrivé sur la place d’exécution, Ernest Ouandié, fidèle à lui-même, refuse qu’on lui bande les yeux. « Je veux regarder la mort en face », semble-t-il dire par ce geste de défiance et de bravoure. Sa posture impressionne.
Le regard fier, il sourit, ce sourire qui résonne comme un pied de nez à l’oppression, comme une promesse silencieuse que le combat ne s’arrête pas ici.
Le peloton d’exécution se met en place. Les fusils sont braqués. Le silence est assourdissant.
Puis, alors que les soldats s’apprêtent à tirer, une voix s’élève soudain de la foule, déchirant l’air tendu de ce matin fatidique. Une femme, portée par un courage aussi grand que le drame qui se joue, ose crier : « Ne les tuez pas ! ». La police, prise de court, tente de la repérer au milieu de la foule compacte, mais en vain. Son geste courageux, aussi furtif qu’inattendu, échappe aux autorités. Le silence retombe. La voix d’Ernest Ouandié s’élève à son tour, forte et claire, transperçant l’air comme un cri d’éternité.
Il sait que sa mort est inévitable, mais il la transforme en acte de résistance. Il parle de liberté, de justice, de sa foi en l’avenir du Cameroun. « Après moi, d’autres continueront le combat », proclame-t-il. Il dit avoir formé des gars qui demanderont des comptes un jour. Et comme pour sceller cet engagement dans les mémoires, il se met à chanter, dans un dernier geste de défi.
Avant que le peloton d’exécution ne fasse feu, il lance : « Vive le Cameroun, l’histoire jugera ! ».
Peu avant, il avait dit à ses geôliers : ” Dites à mon épouse et à mes enfants que je n’ai pas trahi”
Les soldats hésitent presque. Mais la première salve déchire l’air. Les balles frappent.Il s’effondre et rejoint dans la mort ses deux compagnons d’infortune, Gabriel Tabeu et Raphaël Fotsing.
Un officier européen s’avance, comme pour achever ce qui a déjà été fait. Il dégaine son revolver, s’agenouille auprès du héros mourant, et dans un silence glaçant, tire à bout portant. Un dernier coup, brutal, lâche, inutile.
Son corps, enseveli dans une fosse commune avec ses camarades et recouvert de béton, ne sera retrouvé que grâce à un acte de bravoure : une main anonyme a entouré son poignet d’un plastique, permettant des années plus tard d’identifier ses restes.
𝐋’𝐡𝐞́𝐫𝐢𝐭𝐚𝐠𝐞 𝐝’𝐄𝐫𝐧𝐞𝐬𝐭 𝐎𝐮𝐚𝐧𝐝𝐢𝐞́
Ernest Ouandié n’a jamais plié face à l’oppression, ni renoncé à ses idéaux. Il représente aujourd’hui un symbole de courage, de détermination et d’intégrité dans la quête de justice et de liberté. Bien qu’il ait été diabolisé par le régime de l’époque, son sacrifice résonne encore dans la mémoire collective.
En janvier 1991, il sera officiellement reconnu comme héros national, aux côtés de figures controversées, y compris son ancien bourreau. Cependant, pour les générations actuelles, son message demeure clair : “L’histoire jugera”, et elle continue de rendre hommage à son combat pour un Cameroun libre et souverain.
En Ernest Ouandié, nous célébrons non seulement un homme, mais un idéal, une lumière qui inspire encore la lutte pour la justice et la dignité humaine.
Aujourd’hui, son héritage vit en chacun de nous. Cent ans après sa naissance, ses idées continuent d’inspirer des générations entières, nous rappelant que la quête de liberté et de justice est un combat permanent.
L’oubli est la ruse du diable !
(*) Le surtitre, le chapô et le titre sont de la rédaction